Renaissance italienne, 1480
Montre toi mais reste
INVISIBLE
On parle d’une ombre, traversant les rues de Florence, qui se fond avec les autres au crépuscule. Une ombre gracieuse et silencieuse, une ombre pas comme les autres. Une ombre qui semble dégager de la vengeance mais pas de violence. On disait d’elle qu’elle était née sous une bonne étoile. À la fois féminine et brute, cette silhouette se faufile hors du grand manoir alors que la sortie lui est interdite. Cet interdit qui lui donne tant envie depuis son balcon. Si bien qu’elle finit par être fasciné par cet interdit. Et cette ombre discrète portait un nom, un nom doux et honorable : Giulietta Sol Capuleti. Juliette Capulet. Âme bourgeoise, elle n’a jamais ressemblé à ces drôles de filles qui voulaient attirer l’attention. Malgré la popularité de son nom, elle semblait être de ceux qui restaient dans l’ombre, qui ne se montrait qu’en cas de nécessité. Une apparition simple, délicate, comme l’exposition d’un objet rare et d’une grande valeur auquel son père semblait tenir à l’écart. Cette ombre illuminait par sa présence lors des fastueux bals organisés par son père et où plus de la moitié de la ville était conviée. Elle n’était pas timide, loin de là. Au contraire, la curiosité l’animait et elle désirait plus que tout découvrir ce monde qui lui était interdit. Ce monde qui semblait divisé en plusieurs rangs. Une grande rivalité qui prônait entre deux maisons, entre deux confréries. Une rivalité qui avait éclaté depuis plusieurs générations dans le coeur de Florence. Une rivalité qui avait coûté la vie à sa mère et qui avait changé son père. Cette rivalité invisible aux yeux de tous dans la lumière du jour mais visible et dévastatrice une fois la nuit tombée. L’un des rangs se battait pour la justice et la liberté, l’autre voulait s’emparer du pouvoir et du libre-arbitre. Tel était le maudit destin de Juliette Capulet : d’aimer ce qui lui était défendu, de découvrir ce qu’il lui était caché et de se battre pour ce qui lui semblait juste. Cette aventure folle et tordue dont elle commençait à prendre connaissance et dont elle se mit à comprendre peu à peu le sens. Forte mais pas infaillible, l’eau reste son plus grand point faible. Impossible pour elle de s’approcher d’une rivière ou d’un plan d’eau. Elle fuit la baignade comme la peste. Comme si cet élément avait la capacité de retirer la vie à tout ceux qui s’en approche de trop près. Le traumatisme de sa mère reste ancrée dans sa mémoire et elle ne peut nier que cet élément la terrifie.
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Juliette se distinguait des autres filles de la ville. Non par l’apparence ou bien le style et la coiffure qu’elle arborait, mais bien par l’attitude qu’elle avait. Il n’était pas rare de voir Juliette, une épée ou un arc à la main, toujours présente pour défier ses frères dans l’enceinte du manoir et dans l’immense jardin de la propriété. Un comportement rare et peu conventionnel chez les personnes de son rang. Depuis l’enfance, Juliette enviait vivement ses frères aînés, si bien qu’elle voulait toujours faire comme eux. Elle voulait apprendre à lire, écrire, dessiner, à se battre, à faire du tir à l’arc, à monter à cheval. Et la petite fille têtue et obstinée qu’elle était finit par convaincre Capulet et sa femme. Elle troquait bien souvent les bonnes manières pour son arc et ses flèches ; ses jolies jupes pour des vêtements délabrés par l’usure et le cambouis ; ses longs cheveux bouclés pour une tresse négligée. Elle n’avait peur de rien, se sentait invincible. Et cette vie interdite au delà des murs du manoir, elle cherchait à la convoiter plus que tout. Alors, au crépuscule, lorsque le monde finissait par s’endormir, Juliette s’enfuyait à la conquête de l’inconnu. Comme une ombre, comme un courant d’air. Sa vie, confinée dans le manoir, lui semblait parfois ennuyeuse, passant le plus clair de son temps dans les jardins ou perchée sur la rambarde de son balcon, à rêvasser ou lire. Très proche de sa nourrice, la jeune brune lui confie tous ses secrets et celle-ci la couvre lorsqu’elle se faufile dans la ville. Sa condition l’oblige à user des bonnes manières, à porter des robes majestueuses et à faire son apparition à chaque événement organisé par son père qui tente de la surveiller dès qu’il le peut. Chanceux sont ceux qui sont conviés aux bals de Capulet, et chanceux sont ceux ayant l'honneur de rencontrer le joyau si précieux que le propriétaire surprotège.
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La Maison Capulet était une des plus riches familles d’Italie. Glorifiée par l’Église et respectée de tous. Dans la belle ville de Vérone, les Capulet pouvaient faire de très bons alliés comme de redoutables ennemis. Et dans cette ville majestueuse et prospère, figurait une autre maison d’égale dignité à celle de Capulet. Une maison rivale où se tenait une antique hargne depuis plusieurs générations déjà. La haine qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre était intense et sans pitié. C’est dans l’ignorance de cette rivalité que Juliette grandit, enfermée à l’intérieur de la propriété. L’immense jardin du manoir était accessible à toute sorte d’activité, mais l’au-delà de ce jardin lui était prohibé. Jamais elle n’avait compris pourquoi son père tenait tant à la tenir à l’écart de la ville. Mais cette restriction pris tout son sens le jour du décès de sa mère. Le jour où sa cage dorée se transforma en véritable prison sans échappatoire possible. Lorsque Capulet avait annoncé la tragédie à ses enfants, il s’était effondré, à genoux, devant eux. Leur monde venait de s'effondrer, et leur haine ne fit que s’aggraver. « Noyée » avait-il murmuré, annonçant la cause. Mais plus tard, dans son bureau, entouré des compagnons et de ses fils devenus grands, il avait cité les mots dans un ordre précis : « Assassinat », « Templiers », « Montaigu », « Vengeance ». Juliette n’avait qu’une dizaine d’années et n’avait pas compris l’importance des mots que son père avait employé. Lorsque le lendemain, on apprenait par le crieur public qu’un Montaigu était mort, elle avait pensé qu’il s’agissait d’une simple coïncidence. Et puis, Juliette grandit. La tête collée à la porte du bureau de son père, elle avait pris l’habitude d’espionner les moindres détails de ses conversations. Lorsqu’il était absent, la jeune femme se faufilait dans son bureau à la recherche d’indices et d’informations. Son père faisait partie de la Confrérie des Assassins. Elle apprit ainsi, que sa mère fut assassinée dans le but de transmettre un message à ceux qui voulait se mettre en travers du chemin de l’Ordre des Templiers. Et à ce moment, Juliette se jura venger sa mère. Un soir, sans que son père le sache, Juliette sortit pour la première fois dans les rues de Florence à la rencontre de ces fameux Assassins. C’est ainsi qu’elle assimila, enfin. Souple et agile, elle manie l’épée à la perfection et ses flèches ne manquent pratiquement jamais leurs cibles. Ses aptitudes sont utiles dans la confrérie, elle endosse un rôle de messagère et surveille les moindres faits et gestes des personnes qu’elle se doit de traquer. Étant inconnue au grand public, elle se fond à la perfection dans la foule et analyse avec précision le milieu dans lequel elle évolue. Très tactique, Juliette n’a jamais été découverte par son père. Car, pleine de créativité et de malice, la jeune brune arrive toujours à dissimuler sa véritable identité.